Ajuriaguerra, pionnier de la psychomotricité et de la neuropsychiatrie

Julian de Ajuriaguerra (1911-1993) est une figure majeure de la neuropsychiatrie, de la psychomotricité et du développement neuropsychologique de l’enfant. Son approche novatrice a marqué durablement les pratiques cliniques, éducatives et rééducatives, en France comme à l’international. Médecin d’origine basque, naturalisé français, il a su allier rigueur scientifique, humanisme clinique et vision intégrative de la santé mentale.

Aujourd’hui, son nom reste associé à des outils et concepts toujours utilisés, comme l’échelle d’Ajuriaguerra pour la dysgraphie ou la graphothérapie. Ses travaux constituent un socle de référence pour de nombreux professionnels en psychomotricité, orthophonie, ergothérapie, pédagogie spécialisée et rééducation neuropsychologique.

Parcours professionnel et institutionnel

Formé à la médecine à Paris, Julian de Ajuriaguerra soutient en 1936 une thèse sur La douleur dans les affections du système nerveux. Il devient l’assistant du neurologue Jean Lhermitte, ce qui lui ouvre les portes de la neuropsychiatrie clinique.

Engagé dans la Résistance pendant la Seconde Guerre mondiale, il choisit de rester en France après le conflit et obtient la nationalité française en 1950. Ce statut lui permet d’accéder à des postes clés dans la recherche et la formation.

En 1959, il prend la direction de la clinique psychiatrique de Belle-Idée à Genève. Sous son impulsion, l’établissement devient un centre de référence, associant neurologues, psychothérapeutes, psychanalystes et équipes paramédicales. Il y introduit la psychiatrie sectorielle, une organisation innovante visant à rapprocher les soins psychiatriques des patients et de leur environnement quotidien.

En 1976, il est nommé professeur au Collège de France, à la chaire de neuropsychologie du développement, où il approfondit l’étude des interactions entre maturation cérébrale, développement psychomoteur et troubles de l’apprentissage. Il y reste jusqu’à sa retraite en 1986.

Apports scientifiques et cliniques

> Psychomotricité et développement de l’enfant

Julian de Ajuriaguerra est reconnu comme l’un des fondateurs de la psychomotricité en France aux côtés de Giselle Soubiran. Il développe une vision unifiée du corps et de l’esprit, dans laquelle le développement moteur, cognitif et affectif de l’enfant est étroitement interconnecté.

Il s’intéresse particulièrement aux troubles psychomoteurs tels que la dyspraxie, l’instabilité motrice, la dysgraphie ou les troubles du tonus. Ses recherches contribuent à structurer la formation des psychomotriciens et à faire reconnaître cette discipline comme profession à part entière.

L’un de ses apports majeurs est l’élaboration de l’échelle d’Ajuriaguerra, un outil standardisé pour évaluer la qualité et la fluidité du geste graphique chez l’enfant. Cet outil reste utilisé aujourd’hui en milieu scolaire et en rééducation pour repérer précocement les difficultés et mettre en place des interventions ciblées.

> Graphothérapie

Dans les années 1950-60, Ajuriaguerra met au point la graphothérapie, une méthode de rééducation de l’écriture fondée sur l’analyse fine du geste, la posture, le tonus et le rythme. Elle se pratique en lien avec la personnalité et l’histoire de l’enfant, ce qui illustre son approche globale.

> Une méthode de relaxation intégrée

Il propose également une méthode de relaxation intégrée à l’accompagnement psychothérapeutique, souvent qualifiée de psychothérapie psychanalytique corporelle. Cette approche combine techniques corporelles et travail verbal, pour favoriser la détente musculaire, la conscience corporelle et la régulation émotionnelle.

> Neuropsychiatrie intégrative

Ajuriaguerra défend une vision moniste de la psychopathologie, refusant de séparer strictement troubles organiques et troubles psychiques. Il encourage la coopération entre neurologie, psychiatrie, psychanalyse et disciplines éducatives, anticipant ainsi des approches interdisciplinaires aujourd’hui courantes.

Julian de Ajuriaguerra, son impact sur les pratiques contemporaines

Les travaux de Julian de Ajuriaguerra ont contribué à institutionnaliser la psychomotricité et à valoriser les liens entre développement moteur et apprentissages scolaires. Les concepts qu’il a formulés servent encore de base à :

• l’évaluation psychomotrice en milieu scolaire et médical,
• la rééducation des troubles de l’écriture et de la coordination,
• l’accompagnement des enfants présentant des troubles neurodéveloppementaux,
• la mise en place de programmes de prévention en santé mentale infantile.

Limites et débats

Si l’apport d’Ajuriaguerra est incontestable, certaines de ses positions s’inscrivent dans le cadre psychanalytique dominant au milieu du XXᵉ siècle. Aujourd’hui, une partie de la communauté scientifique critique le manque d’appui empirique de certaines de ses hypothèses au regard des méthodes de recherche actuelles.

Par ailleurs, la psychiatrie sectorielle qu’il a défendue, bien que novatrice, a parfois été perçue comme trop dépendante de figures institutionnelles fortes, ce qui a généré des débats sur sa mise en œuvre.