CIM-11 : définition, portée et statut d’un standard vivant
La CIM-11 (Classification Internationale des Maladies, 11ᵉ révision) est le référentiel de l’OMS pour décrire, enregistrer et comparer les maladies, traumatismes et causes de décès à l’échelle mondiale. Adoptée par l’Assemblée mondiale de la Santé en 2019 et en vigueur depuis le 1ᵉʳ janvier 2022, elle remplace progressivement la CIM-10. La CIM-11 est conçue d’emblée pour l’écosystème numérique : navigateur en ligne, outil de codage, API REST et documentation ouverte, avec un cycle de maintenance annuel qui intègre les retours des pays et les avancées scientifiques. Ces caractéristiques rendent la CIM-11 stratégique autant pour la clinique et l’épidémiologie que pour la gouvernance des systèmes de santé et la recherche.
Architecture de la CIM-11 : fondation, linéarisations et post-coordination
Sous le capot, la CIM-11 s’organise autour d’une Foundation Component (ontologie clinique riche) dont sont dérivées des linéarisations adaptées aux usages. La principale est la MMS (Mortality and Morbidity Statistics), utilisée pour les statistiques de mortalité et de morbidité. Cette architecture sépare connaissance clinique et exigences statistiques, garantissant une cohérence transversale tout en gardant la classification maniable sur le terrain.
L’innovation la plus visible pour les codeurs est la post-coordination : on peut combiner un code racine avec un ou plusieurs codes d’extension pour préciser la localisation, la latéralité, l’étiologie, le stade, la gravité, la chronologie ou les circonstances externes. Le résultat est une grappe de codes qui voyage ensemble, apportant une granularité autrefois impossible sans exploser le volume de la nomenclature.
Remarque: un code d’extension ne s’utilise jamais seul. Cette approche améliore la précision clinique, la comparabilité internationale et la réutilisation analytique des données.
Mises à jour, maintenance et outillage numérique
La CIM-11 est un standard évolutif : l’OMS publie chaque année une version mise à jour avec des corrections, des ajouts et des améliorations d’outils. En février 2025, une mise à jour a amélioré le contenu et l’ergonomie ; des outils associés comme DORIS renforcent le codage des causes de décès. Côté technique, l’ICD-API facilite l’intégration dans les logiciels et propose des points d’accès FHIR (en préversion) pour l’interopérabilité. En parallèle, des équipes académiques et industrielles diffusent des mappings FHIR ConceptMap entre CIM-10 et CIM-11, utiles pour la transition.
Où en est l’implémentation ? Panorama international et focus France
L’OMS encourage l’adoption rapide, mais chaque État définit sa trajectoire. En pratique, de nombreux pays planifient ou expérimentent la CIM-11 pendant que la CIM-10 reste utilisée dans certains dispositifs officiels.
En France, la CIM-11 fait l’objet d’un travail structuré : fiches standard et documentation par le Health Data Hub et l’ANS, et expérimentations PMSI pilotées par l’ATIH en 2025. Les documents publics soulignent qu’à date la CIM-10 reste majoritaire dans les recueils officiels, au moins pour les prochaines années, le temps d’adapter les logiciels, formats, mappings et formations.
CIM-11 et santé mentale : évolutions, bénéfices… et débats
La CIM-11 a profondément réorganisé les troubles mentaux et du comportement et créé un chapitre « Conditions relatives à la santé sexuelle ».
- L’incongruence de genre est sortie du champ des troubles mentaux et reclassée en santé sexuelle pour réduire la stigmatisation tout en préservant l’accès aux soins. Cette évolution, largement saluée par les institutions de santé publique, s’inscrit dans une dynamique de dés-psychiatrisation de certaines réalités de santé.
- Le burn-out est reconnu comme phénomène lié au travail (et non comme maladie). La définition insiste sur le stress professionnel chronique mal géré et ses trois dimensions : épuisement, distance/cynisme, efficacité réduite. La recherche souligne toutefois un chevauchement avec la dépression, d’où une certaine prudence dans l’utilisation clinique.
- Le trouble du jeu vidéo est inclus comme trouble addictif lorsque le comportement est persistant, prioritaire et poursuivi malgré les conséquences négatives. Cette décision repose sur des revues d’experts, mais reste débattue : des auteurs ont alerté sur une hétérogénéité de l’évidence et un risque de stigmatisation, quand d’autres défendent l’utilité clinique d’une entité rare mais sévère. La position équilibrée consiste à renforcer le repérage tout en poursuivant la recherche (prévalence, comorbidités, trajectoires).
- Enfin, de nouvelles entités telles que le trouble de stress post-traumatique complexe (CPTSD) et le trouble de deuil prolongé (PGD) témoignent d’un effort de précision nosographique. Les premières synthèses indiquent une acceptabilité clinique croissante, tout en rappelant que la concordance avec d’autres systèmes (DSM-5-TR) et les estimations de prévalence restent en évolution.
Ce que la CIM-11 change pour la qualité des données et l’interopérabilité
L’un des effets les plus intéressants de la CIM-11 tient à la qualité sémantique des données produites. La post-coordination permet d’encoder dans le même épisode la maladie, son étiologie précise, sa localisation, sa latéralité et même son timing, ce qui réduit l’ambiguïté et améliore la réutilisabilité pour la surveillance, l’évaluation de la qualité, la tarification et la recherche. Des modèles spécifiques structurent l’information sur le dommage, le facteur causal et le mécanisme.
Côté interopérabilité, les API de l’OMS et les efforts naissants autour de FHIR soutiennent l’intégration de la CIM-11 dans les DPI, entrepôts de données et plateformes analytiques. La disponibilité de mappings (p. ex. CIM-10 → CIM-11 en FHIR ConceptMap) facilite la migration tout en permettant des analyses rétrospectives cohérentes.
Limites, controverses et points de vigilance scientifique
Parce qu’elle est un standard dynamique, la CIM-11 évolue. Cela implique des versions successives et des champs émergents encore discutés. Autour du burn-out, des travaux pointent des frontières poreuses avec la dépression et appellent à des mesures plus robustes : il est donc prudent d’en rester à son statut de phénomène lié au travail pour la codification administrative. Concernant le trouble du jeu vidéo, le risque de sur-diagnostic chez des joueurs intensifs mais non pathologiques demeure une préoccupation, justifiant formation, évaluation clinique contextualisée et surveillance de la littérature. Enfin, pour des entités récentes comme le CPTSD ou le PGD, la comparabilité des études varie selon les instruments utilisés ; des consensus méthodologiques se consolident, mais des écarts persistent entre CIM-11 et DSM-5-TR qui doivent être explicités dans les publications et la pratique.
Pour aller plus loin :
World Health Organization. (2025, February 14). WHO releases 2025 update to the International Classification of Diseases (ICD-11). https://www.who.int/news/item/14-02-2025-who-releases-2025-update-to-the-international-classification-of-diseases-(icd-11)
World Health Organization. (2024/2025). ICD-11 Reference Guide (online). https://icdcdn.who.int/icd11referenceguide/en/html/index.html
World Health Organization. (2025, February 12). *ICD-11 Implementation – Frequently Asked Questions. https://www.who.int/standards/classifications/frequently-asked-questions/icd-11-implementation
Health Data Hub. (2025, January 21). CIM-11 : fiche standard. https://health-data-hub.fr/sites/default/files/2025-01/CIM-11%20(5)%20(1).pdf
Mabon, K., Steinum, O., & Chute, C. G. (2022). Postcoordination of codes in ICD-11.BMC Medical Informatics and Decision Making, 21(Suppl 6), 379. https://pmc.ncbi.nlm.nih.gov/articles/PMC9112606/
Reed, G. M., et al. (2019). Innovations and changes in the ICD‐11 classification of mental, behavioural and neurodevelopmental disorders. World Psychiatry, 18(1), 3‑19. https://doi.org/10.1002/wps.20611
FAQ sur la classification CIM-11 de l’OMS
La CIM-11 remplace-t-elle immédiatement la CIM-10 ?
Non. La CIM-11 est en vigueur depuis le 1ᵉʳ janvier 2022, mais chaque pays fixe son calendrier. L’OMS publie des mises à jour annuelles et recommande une adoption rapide, tout en reconnaissant la nécessité d’une transition (logiciels, formation, mappings)
Qu’est-ce que la post-coordination et pourquoi est-ce important ?
La post-coordination permet d’associer un code racine et des codes d’extension pour décrire finement un diagnostic (p. ex. topographie + latéralité + étiologie + timing). Les codes d’extension ne s’emploient jamais seuls ; ils forment une grappe qui améliore la précision et la réutilisabilité des données (qualité, recherche, IA).
Quelles évolutions majeures en santé mentale ?
La CIM-11 dé-psychiatrise l’incongruence de genre (chapitre santé sexuelle), confirme le burn-out comme phénomène lié au travail et inclut le trouble du jeu vidéo comme trouble addictif. Ces évolutions visent précision clinique et réduction de la stigmatisation, en tenant compte des débats scientifiques en cours.
Quel est l’état d’avancement en France ?
La France prépare l’adoption via documentation ANS/HDH et pilotes PMSI 2025. À date, la CIM-10 reste majoritaire dans les recueils officiels, le temps d’adapter outils et processus. Les communications publiques cadrent une montée en charge par étapes.