Henri Wallon (1879-1962) est un psychologue français renommé, spécialiste du développement de l’enfant, particulièrement connu pour avoir mis en avant l’importance du développement socio-émotionnel et la notion fondamentale de l’interaction permanente entre les dimensions affectives, cognitives et motrices chez l’enfant.
Biographie et parcours scientifique d’Henri Wallon
Henri Wallon naît à Paris en 1879. Après avoir suivi des études en philosophie et en médecine, il s’oriente vers la psychologie. Sa carrière universitaire commence véritablement après la Première Guerre mondiale, durant laquelle il a travaillé en tant que médecin militaire auprès de soldats victimes de troubles psychologiques. Cette expérience le pousse à étudier les processus psychiques en profondeur. Professeur au Collège de France dès 1937, Wallon s’illustre également par ses engagements politiques et humanistes, marquant durablement ses théories et ses pratiques.
Les concepts fondamentaux de la théorie d’Henri Wallon
La théorie d’Henri Wallon repose principalement sur une vision globale et intégrée du développement humain. Selon lui, le développement est un processus discontinu, marqué par des crises, des conflits et des changements brusques de fonctionnement psychique (Wallon, 1941). Voici les éléments clés :
Développement socio-émotionnel et affectivité
Wallon accorde une place centrale à l’affectivité dans le développement de l’enfant, insistant sur le rôle crucial des émotions comme moteur premier de l’évolution cognitive et sociale. Il souligne ainsi que l’enfant n’évolue pas isolément, mais dans un contexte social, influencé fortement par ses relations interpersonnelles (Wallon, 1945).
La dialectique du développement
Pour Henri Wallon, le développement humain est dialectique, c’est-à-dire qu’il se construit à travers des oppositions et des intégrations successives, telles que la tension entre l’individuel et le social, ou entre l’affectif et le cognitif. Ces oppositions stimulent la progression vers des étapes plus complexes de développement.
Les stades du développement selon Wallon
Henri Wallon propose une conception originale du développement de l’enfant, structurée en stades discontinus, alternant des phases dites centrifuges (tournées vers le monde extérieur) et centripètes (tournées vers soi). Ces stades s’appuient sur une interaction dynamique entre la maturation biologique, les expériences affectives et les influences sociales.
Le stade de l’impulsivité motrice (de 0 à 2/3 mois)
Ce stade, à dominante centripète, est marqué par des réactions motrices spontanées et des expressions émotionnelles non différenciées. L’enfant agit selon des impulsions immédiates, sans intentionnalité consciente ni structuration de l’action. Le rapport au monde est médiatisé par le corps et le ressenti corporel.
Le stade émotionnel (de 2/3 mois à 12 mois)
Toujours centripète, ce stade est centré sur la communication affective avec l’adulte. L’enfant utilise ses émotions pour agir sur autrui, avant de pouvoir interagir de façon symbolique. Ce stade fonde les premières interactions sociales, sans autonomie réelle dans l’action.
Le stade sensori-moteur et projectif (de 1 à 2/3 ans)
Ce stade devient centrifuge. L’enfant explore le monde, projette son action sur l’environnement et développe une motricité finalisée. Il commence à différencier les objets, à manipuler des représentations simples et à anticiper les effets de ses actes. C’est une phase clé pour l’apparition de la pensée symbolique et de la coordination œil-main.
Le stade du personnalisme (de 2/3 ans à 6/7 ans)
Retour à une phase centripète, ce stade est dominé par la construction de l’identité personnelle. L’enfant affirme son individualité, développe son jugement moral et s’investit dans des relations de groupe (ex : école, pair-à-pair). Les conflits affectifs et la recherche de reconnaissance sont au cœur de cette phase.
Le stade catégoriel (6/7 ans et plus)
À nouveau centrifuge, ce stade correspond à l’essor de la pensée abstraite. L’enfant devient capable de catégoriser, de raisonner logiquement et d’intégrer des concepts généraux. C’est une période où les opérations mentales se détachent de l’action concrète pour atteindre la pensée formelle (proche de ce que Piaget appelle les opérations formelles).
Chaque stade marque un nouveau mode d’interaction avec l’environnement et de nouvelles capacités cognitives, affectives et sociales.
Mises en perspective contemporaines : du modèle en « stades » au développement continu
1) Approches en systèmes dynamiques (Thelen & Smith, 1994)
Ces travaux proposent de comprendre le développement comme une auto-organisation issue d’interactions multiples plutôt que comme une suite de paliers. Concrètement, les conduites n’avancent pas par marches fixes : elles émergent de la combinaison de la posture, de la perception, de l’attention, des contraintes de la tâche et du contexte. De petites variations corporelles ou environnementales peuvent reconfigurer la trajectoire (ex. nouveaux patterns moteurs). Les trajectoires sont non linéaires : on observe des accélérations, des plateaux et des retours temporaires en arrière lorsque l’enfant explore d’autres coordinations.
Implication pratique : concevoir des situations riches et modulables (contraste de contraintes, feedback sensoriel, exploration guidée) qui laissent l’organisation émerger.
2) Modèles néo-piagétiens (Case, 1985)
Ces modèles conservent l’idée d’une progression mais l’expliquent par la capacité de traitement (mémoire de travail, automatisation) et par des transitions graduelles. Les enfants passent de l’usage simultané de plusieurs outils cognitifs à des stratégies plus efficaces via l’entraînement et l’automatisation, ce qui soutient une continuité fonctionnelle plutôt qu’un « escalier ».
Implication pratique : fractionner les objectifs, doser la charge cognitive (scaffolding), programmer des répétitions courtes et variées.
3) Neurosciences du développement (Johnson, 2011)
Les neurosciences actuelles décrivent un cerveau hautement plastique, où les réseaux se réorganisent en continu sous l’effet de l’expérience, plus qu’ils ne basculent par paliers. Les compétences émergent de l’interaction corps–cerveau–environnement, au-delà de la seule maturation.
Implication pratique : installer des contextes multisensoriels et affectivement sécurisés qui soutiennent l’engagement et la répétition.
4) Variabilité interindividuelle et « vagues chevauchantes » (Siegler, 1996)
Cette perspective met l’accent sur la coexistence de stratégies au sein d’un même enfant et sur leur remaniement progressif selon la tâche et le temps. La variabilité n’est pas un bruit à corriger, mais une signature de l’apprentissage. Cette dynamique peut produire des performances en “U” (progrès → recul → re-progrès) au fil des contextes et du temps.
Implication pratique : accepter la coexistence de stratégies, proposer des paramétrages différenciés et suivre la progression intra-individuelle.
🔎 À retenir
Les recherches récentes remplacent la métaphore de l’escalier par celle d’un continuum en réseau : le développement est contextuel, plastique et multi-déterminé, avec des trajectoires non linéaires. Cela inclut des pics, des plateaux et des retours temporaires en arrière (phénomènes en “U”) pendant que l’enfant explore, sélectionne puis stabilise des stratégies. Cela n’invalide pas Wallon (valeur de l’affect, du social, des conflits structurants), mais nuance la rigidité des stades.
Critiques et limites des travaux d’Henri Wallon
Si l’apport de Wallon reste majeur, son découpage en stades expose un risque de sur-généralisation : il peut conduire à sous-estimer la variabilité inter- comme intra-individuelle et la diversité des trajectoires développementales. Les recherches contemporaines décrivent plutôt des transitions graduelles et contextuelles, où les conduites évoluent de façon continue sous l’effet d’ajustements fins entre l’enfant, la tâche et l’environnement (Thelen & Smith, 1994; Siegler, 1996; Case, 1985).
Sur le plan méthodologique, la théorie wallonienne est parfois peu opératoire pour l’ingénierie pédagogique : faute d’un cadrage explicite de la charge cognitive et des contraintes de la tâche, la traduction en dispositifs concrets risque de demeurer générale. Les approches actuelles incitent au contraire à paramétrer précisément la difficulté (durée, complexité, double tâche, feedback), afin d’obtenir des effets mesurables et reproductibles (Case, 1985; Siegler, 1996; Thelen & Smith, 1994).
Enfin, le modèle en stades s’articule imparfaitement avec ce que montrent les neurosciences du développement : loin de progresser par paliers, les réseaux cérébraux se réorganisent en continu sous l’effet de la plasticité et de l’expérience. Cette dynamique n’invalide pas l’intuition wallonienne du rôle structurant des conflits et de l’affect, mais elle invite à privilégier une lecture processuelle, sensible aux micro-changements et aux réaménagements progressifs plutôt qu’à des ruptures nettes (Johnson, 2011).
Conclusion : Henri Wallon, une figure scientifique incontournable
Henri Wallon demeure aujourd’hui une figure scientifique fondamentale dans la compréhension du développement de l’enfant. Sa pensée holistique, intégrant affectivité, cognition et socialisation, reste une référence précieuse dans les domaines de l’éducation, de la psychologie et des sciences cognitives.
Les travaux plus récents invitent toutefois à nuancer l’idée de stades rigides : le développement apparaît continu, plastique et contextuel — il dépend des interactions entre l’enfant, la tâche et l’environnement (Thelen & Smith, 1994; Case, 1985; Johnson, 2011; Siegler, 1996).
En pratique, l’essentiel est d’articuler l’héritage wallonien avec ces apports contemporains : ajuster la charge cognitive, moduler les contraintes de la tâche, varier les repères sensoriels et tenir compte de la variabilité des trajectoires. Ainsi, Wallon reste un socle solide, éclairé et enrichi par les preuves actuelles.
Pour aller plus loin :
- Wallon, H. (1941). L’évolution psychologique de l’enfant. Armand Colin.
- Wallon, H. (1945). Les origines du caractère chez l’enfant. Presses Universitaires de France.
- Wallon, H. (1959). La psychologie de l’enfant. Armand Colin.
FAQ sur Henri Wallon
Quelle est la principale contribution d'Henri Wallon à la psychologie ?
La principale contribution d’Henri Wallon est son modèle de développement socio-émotionnel, qui insiste sur le rôle essentiel des interactions affectives et sociales dans le développement global de l’enfant. Il est également connu pour avoir défini des stades précis du développement.
En quoi les théories de Wallon influencent-elles l’éducation actuelle ?
Les théories de Wallon influencent fortement l’éducation actuelle par leur reconnaissance de l’importance des relations sociales et affectives dans l’apprentissage. Elles encouragent des pratiques pédagogiques qui privilégient l’interaction, l’écoute émotionnelle et la prise en compte du rythme propre à chaque enfant.
Quelles sont les principales limites du modèle d'Henri Wallon ?
Les principales limites relevées sont la généralisation parfois excessive de ses stades de développement et une vision jugée trop linéaire par certains chercheurs. Cette critique souligne que le développement réel des enfants peut présenter des variations et des fluctuations importantes.
Comment Wallon considère-t-il l’interaction entre affectivité et cognition ?
Wallon voit l’interaction entre affectivité et cognition comme dialectique et indispensable. Selon lui, les émotions sont à la base du développement cognitif, influençant directement les apprentissages et la construction de la personnalité.









