Glossaire

Jonglage

Le Jonglage se définit, au sens large, comme l’ensemble des techniques consistant à maintenir un ou plusieurs objets en mouvement continu, la plupart du temps par lancers, rattrapages ou rotations, grâce à une coordination fine des systèmes visuel, proprioceptif et moteur. Cette pratique fascinante englobe aujourd’hui une constellation de disciplines allant du toss juggling (lancers aériens) au contact juggling (objets glissant sur le corps), en passant par le bounce (jonglage de rebond), le spin (rotations d’assiettes, diabolos) ou encore le flow arts (poi, staffs lumineux). Avant d’explorer ses effets sur la plasticité cérébrale et la prévention santé, il est indispensable de clarifier les modalités, les engins et l’évolution historique de cet art-métier-science.

 

Définition, formes et engins du Jonglage

 

Jonglage : un continuum de styles

– Toss juggling : lancers et rattrapages sans contact avec le sol, exécutés selon des figures canoniques comme la cascade, le shower ou le Mills Mess.

– Contact juggling : l’objet (souvent une balle acrylique) roule ou reste « en suspension » sur le corps, mobilisant davantage la proprioception que la trajectoire balistique.

– Bounce ou rebond : billes ou balles spéciales frappent le sol/table selon des angles précis, permettant des rythmes rapides et un retour visuel constant.

– Spin & flow : diabolos, anneaux chinois, poi et staffs enflammés sont mis en rotation continue, ce qui ouvre des dimensions rythmiques et esthétiques nouvelles.

– Passing & ensemble : plusieurs jongleurs échangent des objets dans des figures collectives complexes (e.g., feed 4–2–1, y-pass). 

Jonglage : ici une jeune femme faisant du passing avec 3 balles

© Sandrine PELLET

Typologie des engins de jonglage

Balles : mousse, cuir ou silicone ; idéales pour l’apprentissage en raison de leur trajectoire prévisible.

– Foulards : flottent lentement, permettant aux débutants de se focaliser sur la fenêtre visuelle.

Anneaux : fins disques plastiques, plus rapides et visuellement lisibles sur scène.

– Massues : inspirées des joris indiens puis des clubs victoriens ; introduites au cirque occidental vers 1885 par DeWitt Cook, normalisées par Van Wyck dix ans plus tard.

– Diabolo & bâtons-fleurs : objets de rotation axiale, venus de Chine et popularisés en Europe au XIXᵉ siècle.

– Cigar boxes & shaker cups : manipulations à prise rigide (empilement, snap-back), nées respectivement au Japon (blocs en bois) puis dans le vaudeville américain.

– Engins extrêmes : couteaux, torches enflammées, tronçonneuses inertes – réservés aux professionnels pour la dimension spectaculaire.

 

Figures emblématiques

La cascade à trois objets demeure le pattern d’initiation universel ; viennent ensuite les variations temporelles (half-shower, reverse), spatiales (columns, box) et combinées (rubber-band, 531). Chez les avancés, le passage à cinq objets et plus exige une fenêtre attentionnelle élargie et une vélocité accrue, ce qui accroît la charge cognitive et la difficulté de synchronisation inter-hémisphérique.

 

Origines et jalons historiques


• Témoignages antiques

– Vers 1994-1781 av. J.-C., des fresques du tombeau de Beni Hassan (Égypte) montrent des femmes réalisant une cascade à trois balles, attestant l’ancienneté plurimillénaire de la pratique.

– En Chine, sous la dynastie Han, des nòngwán (jongleurs) divertissent la cour impériale à l’aide de couteaux et assiettes.

– Les sources gréco-romaines évoquent des pilarii, artistes de rue maniant des balles en cuir lors des fêtes dionysiaques. 

 

Du Moyen Âge aux foires itinérantes

Dans l’Europe médiévale, troubadours et saltimbanques utilisaient le Jonglage pour raconter des récits bibliques ou satiriques, adaptant les engins (balles de laine, pommes, bougies) aux contraintes religieuses et matérielles de l’époque. 

Ère victorienne et vaudeville

La Révolution industrielle voit apparaître les premiers numéros professionnels standardisés : Paul Cinquevalli (1859-1918) popularise la massue sur les scènes britanniques, tandis qu’Enrico Rastelli (1896-1931) établit des records encore cités (10 balles, 8 massues ; 8 assiettes). 

Renaissance moderne du jonglage et culture hobbyiste

La fondation de l’International Jugglers’ Association (IJA) en 1947 accélère la dissémination mondiale grâce à des congrès et revues spécialisées. Depuis les années 1980, l’essor des conventions (EJC, BJC) et des tutoriels en ligne démocratise l’accès, donnant naissance à une véritable culture maker autour du Jonglage (impression 3D d’engins, light-shows LED).

 

Bases neurophysiologiques : plasticité induite par le Jonglage

Modification de la matière grise

L’étude pionnière de Draganski et al. (2004) a marqué un tournant dans la compréhension de la plasticité cérébrale liée à l’apprentissage moteur. Après trois mois d’entraînement quotidien au jonglage à trois balles, les auteurs ont observé une augmentation de la densité de matière grise dans les régions visuelles et pariétales postérieures (aires V5/MT et sillon intrapariétal), soit les zones impliquées dans le traitement du mouvement et la coordination visuomotrice. Ces modifications ont diminué partiellement trois mois après l’arrêt de la pratique, suggérant une plasticité fonctionnelle mais réversible (Draganski et al., 2004).

Des études complémentaires ont affiné ces résultats. Scholz et al. (2009) ont mis en évidence, par IRM de diffusion, une augmentation de la fraction d’anisotropie dans la matière blanche pariéto-occipitale, traduisant une probable myélinisation accrue et un renforcement des connexions visuo-motrices après seulement six semaines d’apprentissage du jonglage. Ces travaux confirment que la pratique du jonglage, même brève, mobilise la plasticité structurelle du cerveau adulte, un phénomène longtemps jugé limité après l’adolescence.

Enfin, Boyke et al. (2008) ont observé des résultats similaires chez des adultes âgés (60–87 ans), démontrant que la plasticité cérébrale demeure possible à tout âge — bien que plus lente et plus localisée. Ces données ouvrent la voie à l’usage du jonglage comme support de stimulation cognitive et sensorimotrice dans la prévention du déclin lié à l’âge.

 

Réseaux fonctionnels sollicités

Les études en imagerie fonctionnelle (IRMf) et en électroencéphalographie (EEG) révèlent que le jonglage active un réseau cérébral distribué, intégrant :

  • le cervelet (coordination temporelle et correction d’erreurs motrices),
  • le cortex prémoteur et pariétal postérieur (planification du mouvement et représentation spatiale),
  • ainsi que les aires visuelles MT/V5 (analyse des trajectoires).

Cette co-activation confirme le rôle central du modèle interne prédictif, concept issu du contrôle moteur, selon lequel le cerveau anticipe les conséquences sensorielles du mouvement avant qu’il ne se produise (Imamizu et al., 2000).
Chaque lancer constitue ainsi une mise à jour de ce modèle prédictif, le cerveau comparant en continu la trajectoire attendue et la trajectoire perçue pour ajuster la commande motrice.

 

Effets du jonglage sur les habiletés motrices et cognitives 

Coordination et équilibre

Chez les adultes âgés, plusieurs essais récents montrent que le jonglage, même pratiqué à faible intensité, contribue à améliorer la stabilité posturale et la coordination générale.
Dans un essai croisé randomisé, Malik et al. (2024) ont observé, après 12 séances de 30 minutes sur quatre semaines, une réduction significative de la vitesse moyenne du centre de pression et une amélioration du temps de réaction visuo-moteur chez 38 participants de 70 ans en moyenne.
Ces résultats rejoignent les travaux de Rodrigues et al. (2016) montrant que la pratique régulière du jonglage favorise une organisation posturale plus stable, reposant sur une meilleure coordination des ajustements de la base d’appui. Ces données confirment l’intérêt du jonglage dans des programmes de prévention des chutes et de renforcement sensorimoteur, à condition d’adapter la difficulté et la charge cognitive aux capacités du public visé.

 

Fonctions exécutives et attention partagée

Le jonglage mobilise en continu l’attention divisée, la flexibilité cognitive et la capacité d’anticipation, car il faut suivre simultanément plusieurs trajectoires tout en planifiant le lancer suivant.
Des études en double tâche montrent que l’entraînement progressif au jonglage améliore la gestion simultanée de deux flux attentionnels, réduisant le coût de la double tâche lorsque la coordination devient automatisée.

Des travaux récents suggèrent que ces effets reposent sur une réorganisation de la connectivité fonctionnelle entre régions frontales, pariétales et cérébelleuses : une revue systématique rapporte des indices convergents de neuroplasticité liée au jonglage pratiqué en contexte cognitif (Malik et al., 2022). Par ailleurs, une étude en EEG hyperscanning menée par Stone et al. (2019) montre que l’expertise modifie la connectivité inter- et intra-cérébrale durant le jonglage en interaction, traduisant une coordination plus efficiente entre contrôle attentionnel et commande motrice.

 

Stimulation visuospatiale

Chaque lancer de balle exige d’anticiper la trajectoire, d’ajuster la hauteur et la vitesse du mouvement suivant, et de maintenir une cohérence rythmique entre les deux mains et le regard. Le jonglage devient ainsi un véritable laboratoire du timing prédictif : il engage des mécanismes visuospatiaux et temporels permettant au cerveau de prévoir la position future d’un objet en mouvement avant même qu’il ne retombe.

Des travaux expérimentaux et de modélisation ont formalisé le jonglage comme un paradigme de coordination inter-membres. L’apprentissage de la cascade s’organise selon des échelles de temps multiples, avec une stabilisation progressive des relations de phase et de fréquence entre balles, mains, regard et posture (Huys, Daffertshofer & Beek, 2004).
Ces travaux prolongent ceux de Beek & Van Santvoord (1996), qui décrivent la dextérité du jongleur comme une auto-organisation dynamique fondée sur la coordination visuo-motrice, et de van Santvoord & Beek (1996), qui mettent en évidence la variabilité spatio-temporelle des cycles selon le niveau d’expertise.

Sur le plan théorique, des modèles d’oscillateurs couplés montrent que la stabilité dépend des délais sensori-moteurs et de l’amplitude des oscillations (Peper & Beek, 1999). Ces mécanismes expliquent pourquoi le jonglage est pertinent en rééducation visuo-motrice lorsqu’on cible le timing prédictif et la coordination oculo-manuelle.

Ces découvertes éclairent les usages cliniques et pédagogiques du jonglage : la tâche sollicite simultanément les boucles oculo-manuelles, la coordination bilatérale, la planification temporelle et la proprioception dynamique, autant de compétences essentielles en rééducation visuo-motrice et dans les troubles du rythme ou de la coordination.

 

Applications cliniques et préventives

  • Réhabilitation post-AVC et troubles neurologiques

Le jonglage à visée thérapeutique est utilisé dans plusieurs programmes de rééducation pour favoriser la récupération motrice et proprioceptive après un accident vasculaire cérébral (AVC) ou d’autres atteintes neurologiques légères.
Les routines simplifiées — souvent réalisées avec des foulards ou balles très légères — permettent de travailler le recentrage corporel, la latéralisation et la symétrie bilatérale sans surcharge musculaire ni risque de chute. L’apprentissage progressif des trajectoires sollicite la planification motrice, le feedback visuel, et stimule la plasticité sensorimotrice via la répétition.
Le côté ludique et mesurable du jonglage renforce l’adhésion du patient et le rend compatible avec les approches de rééducation motrice centrées sur la motivation et l’expérience réussie.

 

  • Prévention du déclin cognitif et bien-vieillir actif

Chez les personnes âgées, le jonglage constitue un exercice “cognitivement enrichi”, c’est-à-dire une activité à la fois physique, sensorielle et mentale.
Contrairement à une simple activité aérobie, il requiert attention, anticipation, coordination bimanuelle et ajustement postural, ce qui stimule simultanément plusieurs réseaux cérébraux (visuel, pariétal, préfrontal, cérébelleux).
Le jonglage s’intègre dans la logique des programmes de prévention des chutes et de maintien des fonctions exécutives, qui encouragent les activités couplant mouvement, coordination et engagement attentionnel.
Pratiqué en groupe, comme c’est le cas des ateliers Brain Ball, le jonglage favorise également la socialisation et le plaisir du jeu, deux déterminants importants du bien-vieillir.

 

  • Programmes scolaires, TND et pédagogie du mouvement

En milieu éducatif, le jonglage est de plus en plus utilisé comme outil de régulation attentionnelle et émotionnelle.
Chez l’enfant ou l’adolescent, il mobilise la concentration, la persévérance et la motricité fine, tout en valorisant les progrès visibles à court terme.
Dans le cas du TDAH, la pratique encadrée de séquences rythmées et répétitives aide à canaliser l’énergie motrice tout en entraînant le contrôle inhibiteur et la planification d’action.
Sur le plan pédagogique, l’activité incarne la pédagogie par le mouvement : apprendre en bougeant, en répétant et en ajustant son geste à un rythme régulier — une approche parfaitement cohérente avec les principes de la méthode Brain Ball, qui structure le jonglage en séquences progressives associant posture, rythme, regard et coordination bilatérale.

     

    Débats méthodologiques

    La littérature scientifique sur le Jonglage affiche encore quelques limites – échantillons souvent modestes, protocoles d’imagerie parfois hétérogènes et suivis rarement au-delà de six mois. Ces points invitent surtout à affiner les futures études avec des groupes contrôle actifs et des mesures longitudinales. Ils ne remettent toutefois pas en cause l’intérêt pratique de programmes structurés comme le Brain Ball, qui capitalisent sur les atouts du jonglage tout en appliquant des progressions standardisées et facilement évaluables.

     

    Conclusion

    Le jonglage représente un pont unique entre performance artistique, entraînement moteur et neurosciences. Les preuves s’accumulent en faveur de son efficacité sur la plasticité cérébrale et la prévention des troubles de l’équilibre, mais des travaux longitudinaux robustes demeurent nécessaires pour standardiser protocoles et dosages.

     

    Pour aller plus loin :

    • Beek, P. J., & Van Santvoord, A. A. M. (1992). Learning the cascade juggle: A dynamical systems analysis. Journal of Motor Behavior, 24(1), 85–94. https://doi.org/10.1080/00222895.1992.9941604
    • Boyke, J., Driemeyer, J., Gaser, C., Büchel, C., & May, A. (2008). Training-induced brain structure changes in the elderly. Journal of Neuroscience, 28(28), 7031–7035. https://doi.org/10.1523/JNEUROSCI.0742-08.2008
    • Draganski, B., Gaser, C., Busch, V., Schuierer, G., Bogdahn, U., & May, A. (2004). Changes in grey matter induced by training. Nature, 427(6972), 311–312. https://doi.org/10.1038/427311a
    • Huys, R., Daffertshofer, A., & Beek, P. J. (2004). Multiple time scales and multiform dynamics in learning to juggle. Motor Control, 8(2), 188–212. https://doi.org/10.1123/mcj.8.2.188
    • Imamizu, H., Miyauchi, S., Tamada, T., Sasaki, Y., Takino, R., Pütz, B., Yoshioka, T., & Kawato, M. (2000). Human cerebellar activity reflecting an acquired internal model of a new tool. Nature, 403(6766), 192–195. https://doi.org/10.1038/35003194
    • Malik, J., Główka, N., Jelonek, W., Stemplewski, R., & Maciaszek, J. (2022). The effect of juggling as dual-task activity on human neuroplasticity: A systematic review. International Journal of Environmental Research and Public Health, 19(12), 7102. https://doi.org/10.3390/ijerph19127102
    • Malik, J., Główka, N., Jelonek, W., Stemplewski, R., & Maciaszek, J. (2024). Effect of a juggling-based physical activity on postural stability, reaction time, and attention focus in older adults: A randomized crossover study. European Review of Aging and Physical Activity, 21, 15. https://doi.org/10.1186/s11556-024-00351-w
    • Peper, C. E., & Beek, P. J. (1999). Modeling rhythmic interlimb coordination: The roles of movement amplitude and time delays. Human Movement Science, 18(2–3), 263–290. https://doi.org/10.1016/S0167-9457(99)00011-1
    • Rodrigues, S. T., Polastri, P. F., Barbieri, F. A., Perrella, A. M., & Silva, R. (2016). Postural control during cascade ball juggling: Effects of expertise and base of support. Perceptual and Motor Skills, 123(1), 279–294. https://doi.org/10.1177/0031512516660718
    • Scholz, J., Klein, M. C., Behrens, T. E. J., & Johansen-Berg, H. (2009). Training induces changes in white-matter architecture. Nature Neuroscience, 12(11), 1370–1371. https://doi.org/10.1038/nn.2412
    • Stone, D. B., Groh-Bordin, C., & Heuer, H. (2019). EEG hyperscanning reveals differential brain networks engaged during social and non-social motor coordination. Frontiers in Human Neuroscience, 13, 321. https://doi.org/10.3389/fnhum.2019.00321
    • van Santvoord, A. A. M., & Beek, P. J. (1996). Spatiotemporal variability in cascade juggling. Human Movement Science, 15(6), 833–850. https://doi.org/10.1016/0001-6918(94)00044-1

    FAQ sur le Jonglage

    Le Jonglage améliore-t-il vraiment la structure du cerveau ?
    Oui : plusieurs études IRM montrent des augmentations transitoires de matière grise dans les cortex visuel et pariétal après quelques semaines de pratique. Toutefois, l’effet semble partiellement réversible lorsque l’entraînement cesse, indiquant une plasticité dynamique plutôt qu’un remodelage permanent.
    Combien de temps faut-il pour apprendre la cascade à trois balles ?
    La plupart des adultes atteignent la cascade en 15-30 séances de 10 minutes, bien que la courbe d’apprentissage dépende de la fréquence et de la variabilité des essais. Les séances courtes et réparties favorisent la consolidation.
    Le Jonglage est-il recommandé en rééducation gériatrique ?
    Oui, à condition d’adapter le matériel et la méthode. Utiliser des foulards ou des balles molles permet de ralentir les trajectoires et de sécuriser la pratique. Pour être réellement efficace, le jonglage doit s’inscrire dans une approche globale et progressive, comme celle proposée par la méthode Brain Ball, qui intègre le rythme, la coopération et des consignes adaptées aux capacités motrices et cognitives des personnes âgées.
    Existe-t-il des contre-indications médicales ?
    Elles sont rares ; en cas de troubles vestibulaires sévères ou de pathologies aiguës des membres supérieurs, un avis médical est conseillé. Les personnes épileptiques sensibles à la lumière doivent éviter les LED stroboscopiques.
    Nuage de mots autour de la notion de jonglage
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