© Sandrine Pellet
La rééducation orthoptique s’est longtemps centrée sur des exercices réalisés assis, face à des cibles proches ou éloignées, dans un environnement relativement stable. Pourtant, en situation réelle, la vision n’est pas une fonction isolée : elle guide concrètement le regard, la motricité, l’équilibre et notre manière d’occuper l’espace. De plus en plus d’équipes s’intéressent donc au lien entre rééducation orthoptique et activité motrice, à travers la notion de cognition incarnée : voir, penser et agir sont intimement liés.
Dans ce contexte, des outils de mouvement rythmés comme le Brain Ball peuvent, à certaines conditions, venir enrichir la pratique des orthoptistes. L’enjeu n’est pas de transformer ces activités en thérapie à elles seules, mais de comprendre comment elles peuvent soutenir le travail visuel déjà engagé, notamment sur la coordination œil-main, l’attention et la généralisation des acquis.
Les bases visuelles de la rééducation orthoptique
• Acuité visuelle et sens du contraste
L’acuité visuelle correspond à la capacité à distinguer des détails fins. Elle est souvent mesurée sur une échelle de lettres ou de symboles. Le contraste reflète la capacité à distinguer un objet de son arrière-plan, dans des conditions de luminosité variables. Ces deux dimensions sont essentielles pour lire, se repérer dans l’espace ou reconnaître des visages.
En rééducation orthoptique, l’objectif n’est pas toujours d’augmenter l’acuité elle-même (qui dépend aussi des corrections optiques), mais de favoriser une utilisation plus efficace des informations visuelles, y compris dans des situations de contraste réduit ou changeant.
• Acuité visuelle dynamique
L’acuité dynamique décrit la capacité à voir net un objet en mouvement, ou à maintenir une perception stable malgré ses propres déplacements. Elle est particulièrement sollicitée dans les sports de balle, la conduite ou les tâches professionnelles impliquant des gestes rapides.
Des travaux en sport vision training montrent que des programmes combinant entraînement visuel et gestuel peuvent améliorer l’acuité dynamique et certaines performances motrices, même si l’acuité statique reste inchangée (Buscemi et al., 2024). Cette notion est directement reliée aux situations de rééducation orthoptique et activité motrice, où l’on cherche à stabiliser le regard tout en bougeant.
• Champ visuel et vision périphérique
Le champ visuel représente l’espace que l’on peut percevoir autour du point que l’on fixe. La vision centrale traite la précision des détails, tandis que la vision périphérique détecte les mouvements, la vitesse et la présence d’objets en marge du regard.
En orthoptie, l’évaluation du champ visuel et de la vision périphérique permet d’anticiper les difficultés de déplacements, de conduite ou de pratique sportive. Des troubles du champ visuel peuvent aussi compliquer la lecture, la copie ou l’orientation spatiale.
• Vision binoculaire, stéréoscopie et fonctions de vergence
La vision binoculaire désigne l’utilisation coordonnée des deux yeux. Lorsqu’elle fonctionne bien, elle permet la stéréoscopie, c’est-à-dire la perception du relief et la bonne estimation des distances.
De nombreux protocoles de rééducation orthoptique s’appuient sur le travail de la vergence et de l’accommodation pour traiter des troubles comme l’insuffisance de convergence ou certaines formes de vertiges et de fatigues visuelles. Des études cliniques de haut niveau de preuve montrent que les thérapies en cabinet centrées sur ces mécanismes peuvent réduire les symptômes et améliorer les scores orthoptiques (Scheiman et al., 2005 ; Chang et al., 2021 ; Daniel et al., 2016).
• Oculomotricité et fonctions visuo-spatiales
Les mouvements oculaires (saccades, poursuites, fixation, vergences) permettent d’explorer la scène visuelle, de suivre une balle ou une ligne de texte, de passer d’un mot à l’autre, d’un repère à l’autre. Des travaux récents montrent qu’un entraînement ciblé de l’oculomotricité peut améliorer certains paramètres de lecture chez des enfants présentant une insuffisance de convergence, même si l’impact sur les performances scolaires globales reste débattu (Facchin et al., 2025).
Ces fonctions s’intègrent à un ensemble plus large de fonctions visuo-spatiales (repérage dans l’espace, orientation, représentation mentale) qui jouent un rôle essentiel à l’école, au travail et dans la vie quotidienne.
Rééducation orthoptique et activité motrice : pourquoi bouger change tout
Si notre cerveau traite la vision de deux façons, agir et reconnaître, les recherches en cognition incarnée soulignent que la vision s’est d’abord développée pour guider l’action : contrôler les mouvements, anticiper les trajectoires, ajuster la posture (Churchland et al., 1994 ; Goodale & Milner, 1992).
Associer rééducation orthoptique et activité motrice présente plusieurs intérêts :
- Renforcer le lien perception–action : l’œil ne se contente plus de regarder une cible, il guide un geste concret (attraper, lancer, se déplacer).
- Travailler l’attention, l’inhibition et la flexibilité mentale en situation de double tâche : suivre une balle tout en répondant à une consigne verbale ou en réalisant un calcul simple.
- Favoriser la généralisation des acquis, en rapprochant les conditions d’entraînement de la vie réelle (environnement sonore, partenaires, imprévus).
- Augmenter la motivation et l’adhésion, notamment chez les enfants et les adolescents qui peuvent se lasser d’exercices trop statiques.
La littérature sur la vision dans le sport illustre bien cette logique : les programmes les plus prometteurs combinent souvent entraînement visuel et gestes sportifs, améliorant la coordination œil-main, la vision périphérique, la prise de décision rapide et parfois la performance globale (Buscemi et al., 2024).
Orthoptie et Brain Ball : un outil complémentaire
Le Brain Ball est une méthode d’entraînement par le mouvement qui utilise des balles de rebond en rythme et en musique. Les exercices sollicitent simultanément :
- la coordination œil-main (suivre la trajectoire, ajuster la force du lancer, rattraper la balle) ;
- la vision périphérique (percevoir d’autres balles ou partenaires dans le champ visuel) ;
- l’acuité dynamique et la stabilité du regard ;
- l’équilibre et le contrôle postural ;
- les fonctions attentionnelles et exécutives (double tâche, inhibition, changement de consigne).
Dans une perspective de rééducation orthoptique via l’activité motrice, un orthoptiste pourrait, s’il le juge pertinent et sécurisé pour son patient, intégrer ponctuellement des séquences de type Brain Ball pour :
- enrichir les exercices de vergence et d’oculomotricité par des gestes concrets ;
- travailler la vision binoculaire et la stéréoscopie dans le mouvement (ajuster la distance de rebond, la hauteur, la vitesse) ;
- tester la capacité à maintenir la stabilité visuelle en situation de déplacement ou d’équilibre instable ;
- proposer un pont entre le cabinet et les activités physiques quotidiennes (EPS, sport, loisirs).
Par exemple, un exercice peut consister à rattraper la balle en regardant un autre repère, à lancer en rythme tout en nommant des couleurs ou des chiffres, ou à travailler sur un appui instable tout en gardant la balle dans une zone précise de rebond. Ces situations mêlent vision, motricité et charge cognitive, dans l’esprit des programmes de rééducation multimodale.
Rééducation orthoptique et activité motrice : quelles perspectives pour les orthoptistes ?
Pour les orthoptistes intéressés par l’intégration d’activité motrice dans leurs prises en charge, plusieurs pistes se dessinent :
- Utiliser des outils comme le Brain Ball de façon ciblée, à certains moments du parcours (consolidation, généralisation, retour vers les activités physiques).
- Travailler en pluridisciplinarité avec des professionnels du mouvement (enseignants APA, kinésithérapeutes, éducateurs sportifs) afin de sécuriser les séances et d’adapter les contraintes biomécaniques.
- Documenter leurs pratiques par des observations cliniques et, lorsque c’est possible, participer à des projets de recherche évaluant la place de ces approches multimodales.
À terme, mieux articuler rééducation orthoptique et activité motrice pourrait permettre de proposer des parcours de soin plus écologiques, plus proches des situations de vie réelle, tout en restant exigeants sur la qualité des preuves scientifiques.
Envie de tester le mouvement en rééducation orthoptique ?
Intégrez des exercices simples d’activité motrice pour travailler coordination œil-main, attention et équilibre en complément de vos séances d’orthoptie. Formez-vous à la méthode Brain Ball.
En savoir plus
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Buscemi, A., Mondelli, F., Biagini, I., Gueli, S., D’Agostino, A., & Coco, M. (2024). Role of Sport Vision in Performance : Systematic Review. Journal Of Functional Morphology And Kinesiology, 9(2), 92. https://doi.org/10.3390/jfmk9020092
- Lochhead, L., Feng, J., Laby, D. M., & Appelbaum, L. G. (2024). Training vision in athletes to improve sports performance : a systematic review of the literature. International Review Of Sport And Exercise Psychology, 1‑23. https://doi.org/10.1080/1750984x.2024.2437385
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Daniel, F., Morize, A., Brémond-Gignac, D., & Kapoula, Z. (2016). Benefits from Vergence Rehabilitation : Evidence for Improvement of Reading Saccades and Fixations. Frontiers In Integrative Neuroscience, 10, 33. https://doi.org/10.3389/fnint.2016.00033
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Chang, M. Y., Morrison, D. G., Binenbaum, G., Heidary, G., Trivedi, R. H., Galvin, J. A., & Pineles, S. L. (2021). Home- and Office-Based Vergence and Accommodative Therapies for Treatment of Convergence Insufficiency in Children and Young Adults. Ophthalmology, 128(12), 1756‑1765. https://doi.org/10.1016/j.ophtha.2021.05.017
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Kapoula, Z., Morize, A., Daniel, F., Jonqua, F., Orssaud, C., & Brémond-Gignac, D. (2016). Objective Evaluation of Vergence Disorders and a Research-Based Novel Method for Vergence Rehabilitation. Translational Vision Science & Technology, 5(2), 8. https://doi.org/10.1167/tvst.5.2.8
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Scheiman, M., Mitchell, G. L., Cotter, S., Cooper, J., Kulp, M., Rouse, M., Borsting, E., London, R., & Wensveen, J. (2005). A Randomized Clinical Trial of Treatments for Convergence Insufficiency in Children. Archives Of Ophthalmology, 123(1), 14. https://doi.org/10.1001/archopht.123.1.14
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Rodán, A., Marroquín, E. C., & García, L. C. J. (2020). An updated review about perceptual learning as a treatment for amblyopia. Journal Of Optometry, 15(1), 3‑34. https://doi.org/10.1016/j.optom.2020.08.002
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Wilson, M. (2002). Six views of embodied cognition. Psychonomic Bulletin & Review, 9(4), 625‑636. https://doi.org/10.3758/bf03196322
FAQ – Rééducation orthoptique, activité motrice et Brain Ball
L’activité motrice est-elle vraiment en rééducation orthoptique ?
L’activité motrice n’est pas indispensable à tous les protocoles orthoptiques, mais elle peut enrichir la prise en charge dans certains cas. En mobilisant le corps, on renforce le lien entre vision, posture et geste, ce qui correspond mieux à la réalité du quotidien. De nombreuses recherches en cognition incarnée soulignent que la vision s’est développée pour guider l’action, pas seulement pour “regarder”. Intégrer le mouvement offre donc un contexte plus fonctionnel pour consolider certaines acquisitions visuelles.
Le Brain Ball© peut-il remplacer des séances d’orthoptie prescrites par un médecin ?
Non, le Brain Ball© ne remplace en aucun cas une rééducation orthoptique. Les bilans, le diagnostic et les protocoles thérapeutiques relèvent de la compétence de l’ophtalmologiste et de l’orthoptiste. Le Brain Ball© peut être utilisé comme activité complémentaire, éventuellement en lien avec l’orthoptiste lorsque celui-ci l’estime pertinent. Mais il ne doit pas se substituer aux séances prescrites, surtout en cas de pathologie ou de trouble visuel avéré.
Quels types de patients pourraient bénéficier d’un travail combinant orthoptie et Brain Ball ?
Le choix revient toujours au professionnel de santé, en fonction du bilan et des objectifs. On peut envisager ce type d’approche pour des enfants ou adolescents ayant besoin de généraliser leurs acquis à des situations de mouvement, ou pour des adultes souhaitant retrouver une aisance visuo-motrice dans leurs activités physiques. Toutefois, des précautions s’imposent en cas de vertiges, de troubles neurovisuels complexes ou de pathologies neurologiques, où l’intensité des stimulations doit être finement dosée.
Comment un orthoptiste peut-il intégrer le Brain Ball dans sa pratique de façon sécurisée ?
La première étape est de bien définir les objectifs : travaille-t-on la coordination œil-main, la vision périphérique, la stabilité du regard ou la double tâche ? L’orthoptiste peut ensuite sélectionner quelques exercices simples de Brain Ball, adaptés au niveau visuel et moteur du patient, en veillant à la sécurité posturale et à la fatigue. Il est recommandé d’introduire ces séquences en complément d’un programme orthoptique structuré, d’observer les réactions du patient et d’ajuster progressivement la difficulté, plutôt que de basculer d’emblée vers des situations très complexes.