Proprioception et dyslexie : un lien désormais bien établi

par | Déc 2022 | Bien grandir, Développement moteur, Neurosciences

La dyslexie, identifiée depuis pourtant plus de 135 ans, est encore aujourd’hui un trouble dont les médecins et chercheurs ont bien du mal à dresser le portrait clinique. Les études visant à déterminer les causes de la dyslexie développementale sont pourtant nombreuses : du déficit phonologique au déficit d’automatisation, du déficit d’attention visuo-spatiale à la théorie magnocellulaire…  les causes semblent multiples.

Parmi les déficits sensoriels étudiés dans le cadre de la dyslexie, la proprioception était jusque-là sous-évaluée. C’est dans ce cadre qu’a récemment été publiée une nouvelle étude menée par des chercheurs de l’Université de Bourgogne-Franche-Comté dont le laboratoire est spécialisé en sensori-motricité, et qui démontre un lien entre dyslexie et proprioception.

Qu’est-ce que la proprioception ?

La proprioception, c’est le fait d’avoir conscience de la position de son corps, sans avoir besoin de le voir ou de le sentir. La proprioception assure l’équilibre, le contrôle des mouvements et nous renseigne sur l’activité de notre corps (CNRTL). C’est le Prix Nobel de médecine Charles Sherrington qui identifie cette capacité dans les années 1930 et la définit comme « notre capacité à nous percevoir nous-même, sans avoir recours à la vision ».

Comme un GPS ou un sonar, nous utilisons des millions de capteurs situés dans nos muscles, nos nerfs, nos articulations et notre peau, pour analyser nos mouvements. Nous couplons ces messages sensoriels à ceux de notre oreille interne et à nos connaissances pour comprendre, analyser et agir en fonction de notre environnement. En utilisant correctement notre schéma corporel, nous savons quand attraper un ballon, quand fermer les yeux face à une lumière trop vive ou encore quelle force mettre dans notre impulsion pour sauter au-dessus d’un obstacle.

Proprioception et construction neurologique

Le rôle du cerveau et des constructions neuronales est très important dans la proprioception. À force d’accomplir un geste, le cerveau va créer des connexions nouvelles et s’adapter : c’est toute la magie de la plasticité neuronale. Pour attraper ses premiers objets, le bébé va devoir regarder ses mains pour atteindre l’objet, ses doigts s’ouvrir et se refermer dessus… De nombreuses fois, avant que le geste ne devienne automatique et qu’il devienne conscient de ses membres et de leur capacité.
Les scientifiques pensent que notre schéma corporel commence à se former dès nos premières semaines de vie – in utéro – pour être complet et efficace vers l’âge de 11-12 ans. Le schéma corporel s’adapte ensuite au fil de nos changements physiques (fait de grandir, de prendre du poids, blessure…). La proprioception nous permet alors petit à petit de contrôler nos membres sans les regarder directement. Elle nous permet d’assurer la coordination de nos mouvements, notre posture, nos déplacements, notre réactivité et notre prise de décision.
Selon le corps médical, la proprioception permet :

• La régulation du tonus postural,
• La localisation spatiale sensorielle,
• La perception multisensorielle.

Il est possible qu’une dysfonction proprioceptive vienne perturber l’apprentissage moteur de l’enfant et conditionne ainsi toute sa construction neurologique. La difficulté d’automatiser des gestes volontaires, de les mémoriser devient rapidement un frein quotidien : Ainsi, rattraper un objet, réaliser un geste graphique ou transporter un plateau sont des actes bien plus compliqués que pour les autres enfants. Chaque geste réalisé l’est comme pour la première fois au niveau cérébral : tout reste à écrire…

Troubles de la proprioception et dyslexie, un lien démontré

Dans le prolongement des théories sensorielles, des chercheurs de l’Université de Bourgogne-Franche-Comté ont tenté de démontrer que la dyslexie développementale était bien liée à un dysfonctionnement proprioceptif. L’étude s’intitule en français « Les seuils de détection de mouvement révèlent des déficiences proprioceptives dans la dyslexie développementale ».

Pour cela, les chercheurs, en lien avec l’INSERM, ont utilisé un protocole reconnu internationalement pour tester la fonction proprioceptive. À l’aide d’un ergomètre robotisé et d’analyses entièrement automatisées, ils ont ainsi testé l’acuité proprioceptive de 17 enfants dyslexiques et de 17 enfants non dyslexiques.

Le test consistait à mobiliser passivement, à l’aide d’un robot, les articulations du bras et de la jambe des enfants. Ceux-ci devaient appuyer sur un bouton lorsqu’ils sentaient que leur membre était mis en mouvement. Notons que les enfants portaient un casque et un masque afin d’isoler les fonctions visuelles et auditives.

Le résultat de cette étude montre que les enfants dyslexiques ont des seuils de détection du mouvement plus élevés et plus variables que les enfants non dyslexiques. En d’autres termes, ils perçoivent moins bien le mouvement de leur propre corps. La différence de perception est d’autant plus importantes en présence de stimuli proprioceptifs faibles.

Il ressort de cette étude que la représentation mentale des mouvements est altérée chez les adolescents dyslexiques
.

Enfin, notons que différentes articulations ont été testées pendant ce test, à savoir le coude et la hanche, pour des résultats similaires quelle que soit l’articulation mobilisée. Cela invalide donc l’hypothèse portée par les théories cognitives selon laquelle les troubles sensoriels chez les enfants dyslexiques seraient la conséquence d’un manque de pratique de la lecture et de l’écriture.

Ces résultats constituent donc un soutien clair aux théories sensorielles de la dyslexie développementale et vont permettre de repenser les prises en charge de ces patients.

La pratique du Brain Ball pour améliorer la proprioception

Les patients dyslexiques souffrant de troubles sensoriels peuvent exercer leur proprioception dans le cadre de la méthode Brain Ball, dans la mesure où le jonglage rythmique et coopératif stimule l’appareil sensorimoteur dans son ensemble.

La manipulation d’engins transmis alternativement à l’avant et à l’arrière du corps, en dehors de tout champ visuel permet d’affiner et de mettre à jour son schéma corporel. Les membres supérieurs doivent se coordonner pour se transmettre les engins de manière optimale, sans tâtonnement, ce qui implique que le cerveau ait une représentation parfaite de la position de chaque main, à chaque instant.

La régulation du tonus musculaire est quant à elle exercée lors de chaque séance puisque c’est une condition nécessaire à la réussite des exercices. Pour transmettre correctement les balles, les sacs ou les anneaux, il faut apprendre à doser et réguler le tonus, sans quoi les engins n’atteignent pas leur cible. Ce n’est pas un travail facile mais le résultat est immédiatement perceptible, ce qui favorise les réajustements.

En ce qui concerne les repères visuels, ils sont nombreux et instables du fait du mouvement des balles dans l’espace. C’est d’autant plus le cas lors des exercices collectifs lorsque de nombreux engins circulent dans un espace limité. Le cerveau doit sans cesse réinterpréter les courbes, les distances et le positionnement du corps.

Le fait d’effectuer des rotations rapides et répétées de la tête pour passer d’une cible à l’autre lors de certains exercices (notamment lorsqu’un engin arrive sur la gauche et qu’il faut transmettre un second sur la droite et inversement) active fortement le système vestibulaire et réclame un rééquilibrage incessant des appuis pour sauvegarder notre équilibre.

De manière générale, les participants doivent en permanence tenter de mettre en cohérence les informations sensorielles reçues : auditives, visuelles ou encore proprioceptives.

Lorsque l’on pratique le Brain Ball, les perceptions sont multiples et les réponses motrices le sont tout autant !
Une manière ludique d’exercer sa proprioception.

 

En savoir plus

Laprevotte, J., Papaxanthis, C., Saltarelli, S. et al. Movement detection thresholds reveal proprioceptive impairments in developmental dyslexia. Sci Rep 11, 299 (2021). https://doi.org/10.1038/s41598-020-79612-4

Saint Auguste, A., 2022, La proprioception, qu’est-ce que c’est ?. Revue Sciences et Avenir

Conférence du Pr Gaveau, 2022, “Sensorimotricité et dyslexie“. Invité par l’Associaiton Sensoridys

#Mouvement   #Temps   #Timing   #Acuité temporelle   #Déficit de temporalité
#DYS   #TDA/H   #Parkinson

Partager
Proprioception et dyslexie : un lien désormais bien établi
®
Loading...